Eric Julien

> LES INDIENS KOGIS, La mémoire des possibles, d'Eric Julien (dir) et Muriel Fifils. — Richement illustré de superbes photos, de paysages et d’êtres humains, cet ouvrage collectivement écrit rend hommage à la société des Kogis, peuple descendant de la civilisation précolombienne. La montagne sur laquelle ils vivent, la Sierra Nevada, est pour eux comme un homme. Dressée comme une pyramide. Culminant à plus de 5 000 mètres d’altitude, ses pieds touchent la mer des Caraïbes et sa tête côtoie le soleil et les nuages. Encore aujourd’hui, ce peuple est resté presque intact en dépit des coups de boutoirs, de la dite civilisation moderne. Mais leur territoire est parti en lambeaux, pillé de droite et de gauche, et dramatiquement déforesté à plus de 85 %. Que pouvaient-ils faire, ne disposant pas d’actes de propriété, ni d’argent, leur société ne repose pas sur l’argent ? Assister au dépouillement... Eric Julien fut sauvé par leurs chamanes. Il leur demanda quoi faire pour rembourser sa dette de vie. Les Indiens lui expliquèrent le problème et ainsi commença l’aventure du rachat des terres grâce aux dons que chacun peut faire. Au-delà de cette belle histoire, qui fonctionne, l’ouvrage se consacre essentiellement à la description du mode de vie de ce peuple premier : quel lien ont-ils avec leur territoire ? Quelles sont leurs connaissances ? Quel rôle jouent leurs sages ? La première chose est qu’il s’agit d’une civilisation « durable » au sens écologique du terme. Ils font corps avec la nature, la respecte comme une mère, et elle les enseigne. Du fait de leurs contacts avec Eric Julien, ils eurent la possibilité de rencontrer plus avant la civilisation occidentale, et de constater à quel point elle était coupée de l’essentiel. Sur ce point, le lecteur peut lire l’article qui leur est consacré dans le numéro 94 de la Revue, sur le thème de la crise. Les Kogis considèrent être des éléments essentiels pour la protection de la nature à l’échelle de la planète. Et ils assistent à la destruction de la nature qui se fait sur tous les continents, à toutes les échelles, avec un déploiement de moyens proprement hallucinant : « ils abîment la terre, la nature, ils ne respectent rien. Qu’est-ce que la nature pour vous ? L’argent il vous en faut toujours plus, pour faire toujours plus de choses, toutes très importantes. Mais quand il n’y aura plus rien, à quoi vous servira votre argent ? » Cette civilisation a quelque chose à nous transmettre. Comme tous les peuples « racine ». Lorsque Eric Julien va à l’UNESCO pour demander des moyens, on lui répond que rien n’est possible, mais qu’il devrait enregistrer leur langage, afin que, plus tard, quand ils auront disparu, il reste une trace... pour les historiens. Les peuples « racines » sont les gardiens de la mémoire des choses. Les transformer en consommateurs placides devant un écran plasma, tel est l’objectif de civilisation que l’occident forme à leur égard. Ed. Actes Sud, 2009 - 267 p.
—3e millénaire, (95), Printemps 2010… (more)